Le Mois Molière - Juin 2010
Photo : © Bénédicte.B
Molière (1622-1673)
Le Tartuffe ou l'Imposteur (12 mai 1664)
Voilà de vos pareils le discours ordinaire. Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C'est être libertin, que d'avoir de bons yeux; Et qui n'adore pas de vaines simagrées, N'a ni respect, ni foi, pour les choses sacrées. Allez, tous vos discours ne me font point de peur; Je sais comme je parle, et le Ciel voit mon cœur.
De tous vos façonniers on n'est point les esclaves, Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves: Et comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit, Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit; Les bons et vrais dévots qu'on doit suivre à la trace, Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace. Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction Entre l'hypocrisie, et la dévotion? Vous les voulez traiter d'un semblable langage, Et rendre même honneur au masque qu'au visage? Egaler l'artifice, à la sincérité; Confondre l'apparence, avec la vérité; Estimer le fantôme, autant que la personne; Et la fausse monnaie, à l'égal de la bonne?
Les hommes, la plupart, sont étrangement faits! Dans la juste nature on ne les voit jamais. La raison a pour eux des bornes trop petites. En chaque caractère ils passent ses limites, Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent, Pour la vouloir outrer, et pousser trop avant. Que cela vous soit dit en passant, mon beau-frère.
Le Mois Molière - Juin 2010 - 78000 Versailles